Pierre BONNAVE, 98 ans, adhérent de l’ UNC Lacanau, ancien survivant du camp de Mauthausen, a accepté d'évoquer l'enfer concentrationnaire des camps nazis.
Témoignage recueilli par Jean Malié, Président de l’ UNC de LACANAU.
PB : Les 186 marches, c'est le titre que j'aimerais donner aux quelques lignes que tu m'as demandé de coucher sur le papier.
Cette sollicitation à laquelle je me livre volontiers, non pour raconter ma vie - ce n'est pas ma tasse de thé - mais pour saisir l'occasion de rappeler, le devoir de mémoire auquel je ne saurais déroger.
Ce que fut l'horreur des camps de la mort nazis créés par Hitler et ses nombreux complices. En effet, 10 millions d'individus dont 6 millions de juifs périrent dans ces endroits terrifiants.
186 c'est le nombre de marches de l'escalier de la carrière de Mauthausen dans lequel moururent dans d'atroces conditions des dizaines de milliers de personnes.
En ce qui me concerne, je n'ai pas connu la carrière, nous n'étions pas là pour cela, mes compagnons d'infortune et moi. Mais pour partir en kommando de travail. A cet effet, nous étions entassés dans des blocks de quarantaine, les 16,17, 18, 19 et le 20, plusieurs centaines par bâtiment.
Six semaines terribles durant lesquelles nous dûmes dormir sur le sol, emmêlés de telle façon que la position sur le dos était impossible. Roués de coups à tous moments. La faim nous torture sans cesse, nous devions respirer par surcroit, l'odeur de mouton grillé que répandaient les fours crématoires, infatigables dévoreurs de cadavres squelettiques.
Alors pour répondre à ta question, mon cher Jean, comment en suis-je arrivé là ? : Tout a commencé à la fin de l'année 1942 quand les alliés ont débarqué en Algérie.
A ce moment les troupes allemandes ont envahi la zone libre et Hitler, sans autre forme de procès a dissous l'armée d'armistice, dans laquelle j'étais incorporé.
C'est alors que j'ai commis la faute qui m'a coûté si cher, celle de retourner à Bordeaux vivre avec mes parents. Les choses suivant leur cours, quelques mois plus tard, j'allais avoir 21 ans, je fus appelé à aller travailler en Allemagne dans le cadre du S T O (service du travail obligatoire) mis en place par le 1er ministre de Pétain, à l'époque on disait Président du Conseil, l'impopulaire Pierre Laval.
C'est ainsi que je pris place un soir du début du mois de Mars 1943, dans un train chargé de travailleurs forcés en direction de l'Allemagne.
Le trajet se révéla très mouvementé, quelques exaltés, pris de boisson, se livrèrent à des vociférations du genre "A Bas Hitler, Laval au poteau, mort à Pétain", et cela durant toute la nuit, de telle façon que lorsque nous entrâmes Gare de l'Est, un drapeau rouge à l'avant de la locomotive, un cordon de S S armés, nous attendait dans un but visiblement peu amical.
Je dois dire, mon cher Jean, que je m'étais tenu peinard tout au long du parcours, car ma décision était prise, je n'irai pas en Allemagne, je mettrai un terme à cette aventure dès mon arrivée à Paris. J'avais en effet en tête une adresse apprise par cœur, génératrice d'une rencontre qui aurait dû marquer mon entrée dans la résistance.
Hélas un sbire de la Gestapo a mis fin à mon projet en me mettant la main au collet alors que je m'apprêtais à descendre du train.
Nous fûmes ainsi une vingtaine, aussitôt dirigés vers le camp de Royallieu à Compiègne, où je devais rester plusieurs semaines dans de pénibles conditions avant mon départ pour Mauthausen .
Entassés à 60 dans un wagon de marchandises, nous n'arrivâmes pas tous vivants. Le voyage dura 3 jours et 3 nuits, par une chaleur torride dans la journée, sans une seule goutte d’eau ; c'est ainsi que nous connurent une soif atroce dont certains moururent. Au bout de cela, était l'arrivée à Mauthausen. Accueillis par les hurlements des S S et les aboiements de chiens féroces, dressés à mordre, nous montâmes jusqu'à la forteresse ; ceux ne pouvant marcher étant abattus sur place.
Je pourrais bien sûr, mon cher Jean, en dire bien plus, mais si tu le veux bien, je terminerai ici.
Jean-Malié : Merci Pierre.